Elle courait dans les couloirs de l'hôpital

Ne cours pas dans les couloirs, lui disait-on toujours. Mais elle n'en avait que faire, riant à gorge déployée, courant aussi vite que ses petites jambes le lui permettait. Elle voulait courir, encore et encore jusqu'à pouvoir s'envoler dans les airs, comme les avions ! Son papa lui avait dit que les avions avaient besoin d'aller très vite pour s'envoler. Alors si elle allait très vite, peut-être qu'elle pourrait voler elle aussi. En tout cas, elle faisait tout pour, zigzaguant entre le personnel soignant qui ne pouvait s'empêcher de trouver son attitude aussi mignonne que dangereuse et exaspérante. Elle ne tenait pas en place et pourtant, elle avait bien une chambre attitrée. Mais la petite filoute s'en échappait toujours après le passage du médecin. elle n'aimait pas être enfermée dans cette chambre et rester dans ce lit. Elle voulait courir, encore et encore, autant que ses petites jambes le permettait.
Elle connaissait les couloirs par coeur. Il y avait sa chambre puis le long couloir jusqu'à la grande salle où il y avait toujours plein de monde. Puis le petit couloir où il y avait la grande porte qu'on avait pas le droit de franchir. Encore un couloir avec plein de portes fermées. Plusieurs fois par jours, elle courait, se traçant un chemin similaire et différent à chaque fois. Elle voyageait, volant au dessus des montagnes et des rivières. Elle avait déjà fait le tour du monde, plein de fois même ! Et qu'il était beau ce monde ! Plein de montagnes et de rivières, parfois des forêts de chaises colorées. Et ils changeait si souvent qu'elle avait l'impression d'avoir visité plusieurs mondes différents. Cela lui plaisait. Alors elle courait encore et encore, évitant de justesse les jambes des adultes qui formaient une forêt en mouvement.

Mais un jour, la forêt bougea trop vite pour elle et un arbre vint à sa rencontre. Elle tomba à la renverse, sur les fesses. Des larmes se mirent à poindre au coin de ses yeux et elle massait son front douloureux. Les grands arbres s'agenouillèrent et une main délicat l'aida à se relever. alors qu'elle reniflait encore, chassant les dernières larmes de son visage, une douce voix s'éleva dans le brouhaha du couloir. Elle releva les yeux et croisa deux perles d'or, asséchant ses larmes définitivement. Le visage qui entourait ces perles était beau, encore plus beau que celui de son papa.

- Tu ne t'es pas fait mal ? demanda la voix, presque comme si elle chantait.

Timidement, oubliant sa fougue habituelle, elle secoua négativement la tête tout en rougissant doucement. Il sourit avant de la soulever avec doucement et de la porter contre sa hanche. Elle attrapa le col de sa blouse blanche et pu admirer ses cheveux blonds. Jamais elle n'avait vu un pareil champ d'or et elle se félicitait d'avoir cogné ces arbres. Elle découvrait un nouveau monde.

- Comment t'appelles-tu ?

Elle tourna vivement la tête à cette question, croisant à nouveau ce regard doré qui la faisait rougir. Il était doux, comme celui de son papa.

- Amélie, mais mon papa il m'appelle Mélie ! répondit-elle avec fierté. A ça oui, elle était fière de son prénom et encore plus du prénom que lui donnait son papa. C'était comme ça que maman aimait t'appeler, lui disait-il lorsqu'il venait dans sa grand chambre blanche.

- Et bien, Amélie, que fais-tu si loin de ta chambre ?

Il ne faisait que poser des questions. D'habitude, elle n'aimait pas qu'on lui pose autant de questions parce que ça voulait dire qu'elle était en train de voir le médecin. Mais là, cela ne la dérangeait pas car elle pouvait se perdre dans ces yeux dorés et jouer machinalement avec ses cheveux sans que cela ne semble le déranger.

- J'aime bien parcourir le monde, annonça-t-elle pleine de convictions.

Il souleva un sourcil avant de rire doucement, puis il se mit à marcher d'une démarche légère. elle en profita pour regarder autour d'elle, découvrant des horizons qu'elle ne connaissait pas encore. Là, au dessus de la grande montagne plate, elle pouvait enfin voir ce qu'il y avait. et c'était décevant, il n'y avait pas de trésor, comme elle se l'imaginait, mais juste des montagnes de papier... Là, c'est le coin de la grande porte ! Elle se retourna pour essayer de voir au travers la petite vitre ronde, mais rien, il marchait trop vite. Alors elle se frustra.

- Marche moins vite, asséna-t-elle, décrochant un nouveau rire léger de sa part. Mais trop tard, ils étaient déjà arrivés à sa chambre. Tout aussi délicatement qu'il l'avait prise dans ses bras, il la déposa sur le grand lit, affrontant son petit regard courroucé d'être allé trop vite. Elle avait du cran et une rage de vivre qu'il avait rarement vu, même ici.

- Tu t'appelles comment ? finit-elle par demander alors qu'il se redressais.
- Carlisle, répondit-il avec un sourire chaleureux, imaginant déjà sans mal la difficulté qu'elle aurait à prononcer son prénom. Beaucoup d'enfants avaient du mal et cela l'attendrissait à chaque fois qu'il entendait un petit bout de chou écorcher son prénom.
- Ca... Carile ! fit-elle de sa petite voix enjouée, ce qui le fit rire doucement à nouveau. Elle était un bout en train, pour sûr.
- C'est presque ça. Mais je vais devoir te laisser, mademoiselle Amélie. Au revoir ! Il savait qu'il ne la reverrait sûrement pas. Il n'était que de passage au service pédiatrie.
- Au revoir, entendit-il d'une toute petite voix triste alors qu'il fermait la porte derrière lui.

Il soupira doucement, une pointe de tristesse également dans l'âme. Il savait que si elle était là, c'était pour une bonne raison. Mécaniquement, il reprit sa marche vers ses longues occupations teintées de tristesse, de douleur mais aussi d'espoir.


Il marchait tranquillement dans ce long couloir, se refusant à admettre qu'il avait fait ce détour uniquement pour espérer revoir la petite Amélie. Il avait apprécié ce petit bout en train qu'il avait considéré, le temps d'un instant, comme sa propre fille. Cela faisait quelques semaines qu'il n'était pas revenu et même si cette rencontre avait été succincte, elle avait été de celles qui marquent au premier coup. Mais il n'entendait pas ces petits pas qui l'avaient surprit la première fois. Il n'entendait pas les remontrances du personnel soignant, évitant de justesse la petite coureuse intrépide.
Intrigué, il se dirigea vers sa chambre et ouvrit doucement la porte. Le silence régnait dans la grande chambre où les rideaux avaient été tirés, la laissant dans la pénombre.

Il s'avança à pas de velours, ne souhaitant pas affoler cette respiration déjà très faible et lorsqu'il fut près du lit, il remarqua la petite coureuse, les yeux fermés, un sourire aux lèvres. Bien qu'il s'en doutait, cela lui faisait tout de même mal de la voir dans cet état là. Il n'avait jamais eu d'enfant en bas âge mais il pouvait aisément comprendre la douleur de ce père en la voyant ainsi. Pourtant, elle souriait encore.

Ne voulant pas la réveiller, car elle était déjà très faible, il se retourna pour quitter la chambre. Cependant, une légère voix enrouée le stoppa dans son élan.

- Au revoir, Carile, disait cette petite voix dont on pouvait aisément deviner la joie de vivre.
- Au revoir, Mélie, dit-il simplement, souriant tristement dans la pénombre. Puis il ferma cette porte qu'il ne franchira plus jamais.